Un dernier verre? [pv Reed]

► Le samedi soir, c'était la soirée la plus agitée, au Super-Zéro. Je le savais, et j'étais toujours bien préparé. J'avais assez d'alcool pour abreuver un régiment, et, comme toujours, un ou deux champignons, bien à l'abri, au cas où il y aurait une bagarre. C'était mon bar, après tout, si jamais il y a du grabuge, c'était à moi de jouer les videurs. Et pouvoir devenir très très grand, ça aidait toujours. Enfin. Heureusement, les bagarres, c'était pas courant, non plus. Les clients avaient beau être des héros à la retraite, ils était plutôt calmes, dans leur genres. A part quelques enragés, qui une fois trop alcoolisés, ressentait le besoin de taper sur quelqu'un, je n'avais pas à me plaindre. Mais le samedi soir, j'aimais mieux être préparé.
Pourtant, ce soir là, les lieux était relativement déserts. Tout était calme, même. J'étais étonné, et, en un sens, soulagé. Une petite soirée tranquille pour Mario, une!
Bon, le bar n'était tout de même pas vide, j'avais toujours mes habitués, les vieux de la vieille, ceux qui finissaient toujours par montrer le bout de leur nez. J'en étais déjà à mon deuxième tour de la salle, et j'avais repéré quelques visages familiers... Reed Richards, par exemple. Lui ne venait pas si souvent que ça, pourtant je le comptais parmi mes habitués. Il s'asseyait toujours au même endroit -pas très loin du bar, en fait, comment est-ce que j'avais fait pour ne pas le remarquer? - , seul la plupart du temps, et il commandait toujours la même chose... Réglé comme une horloge, celui là, il quittait toujours les lieux à la même heure. Enfin, au moins il était assez causant. Pas au point de tenir le crachoir pendant des heures, mais suffisamment pour que j'apprécie sa compagnie.
Je jetais un coup d’œil vers l'horloge sur le mur: Bientôt 11 heures. Il n'allait pas tarder à partir. C'était pas son genre de faire la fermeture des bars. Je passais derrière le bar, lui adressant un léger sourire:

" Un dernier verre? "

Reed était plongé dans une grande réflexion, le regard perdu dans son verre. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, à le voir trainer à ce bar, fixant sa boisson comme si c'était le Graal, il n'aimait pas l'alcool plus que ça. Oh, il appréciait un petit verre de temps en temps, mais il n'avait jamais été un grand buveur. Pourtant, et les clients du Super-Zéro pouvait en attester, il était capable de descendre plusieurs bouteilles sans montrer le moindre signe d'ébriété. Et c'était ça, justement, qui le fascinait. Son pouvoir lui permettait de gérer facilement la quantité d'alcool présente dans son organisme, et il lui était de ce fait pratiquement impossible d'être soûl. Une bien belle revanche sur toutes ces sales petites brutes, à la fac, qui le brimaient parce qu'il ne tenait pas l'alcool...
Qui c'est qui rigole, maintenant? , songea-t-il alors que Mario remplissait son verre. Il le remercia d'un petit geste de la main:

" Un dernier, oui. Il va falloir que j'y aille bientôt... "

Impossible d'être ivre, peut-être, mais mieux ne valait-il pas forcer les choses. Et puis on l'attendait sûrement, "à la maison". Le Baxter Building n'était jamais vide, et dés qu'il s'en trouvait éloigné, il ressentait toujours comme un vide... Curieux sentiment. Est-ce que l'alcool avait malgré tout réussit à se frayer un chemin jusqu'à son cerveau? Quoi d'autre aurait pu lui inspirer cette pointe de mélancolie?
Il jeta un rapide coup d’œil autour de lui: Il ne restait plus grand monde... Quelques âmes solitaires, presque tous des anciens héros... Il en connaissait la plupart, de nom au moins, et il devait avouer qu'il aimait les observer de loin, comme un zoologue observe la faune, bien à l’abri dans sa jeep. Et il savait que Mario faisait la même chose. Un scientiste est avant tout un observateur, et Reed avait bien eu le temps d'observer le patron du bar. Lui aussi, il aimait bien détailler ses clients de haut en large...
Il se retrouvait d'ailleurs maintenant, lui même, en train d'observer Mario. Depuis toujours, quelque chose de terriblement familier le frappait dés qu'il croisait son regard, mais il n'avait jamais su dire quoi... Il en était certain, ce n'était pas quelqu'un qu'il avait connut du temps des héros. Et il se sentait un peu stupide de demander ça maintenant. Mais comme ne pas savoir quelque chose, c'était impensable pour Reed Richards...

" Dis moi, Mario... "

Comment formuler ça?

" Tu faisait quoi... Avant? Tu étais dans le business des héros? "

Drôle de façon de dire les choses, je vous l'accorde, mais c'était comme ça que beaucoup mentionnaient "le bon vieux temps"...

Haha, j'avais raison, il comptait bien lever le camp... L'heure d'aller se coucher, je présume. J'aurais bien fait une blague à ce sujet, mais on ne se connaissait pas suffisamment, finalement, aussi je me contentais de hocher la tête. Cependant, il avait l'air d'avoir encore envie de causer... Étrange. Même si il nous arrivait de discuter, il était souvent plus silencieux qu'autre chose... Enfin, je n'allais pas m'en plaindre! Les clients les plus calmes sont les meilleurs. Je me passerais bien des excités de service qui sont soûls au bout de deux verres et qui commencent à vouloir tout casser. Les super-ivrognes, ça va deux secondes...
Et puis il me demanda "qu'est-ce que je faisait avant". Je le regardai un instant, plus interloqué qu'autre chose. Il ne me connaissait pas! Bon, j'étais bien conscient de ne pas être une rock star ou quoi que ce soit dans le genre, mais quand même, j'avais ma petite fierté! Des années passée à sauver le Royaume champignon, et les gens ne se souviennent pas de moi? C'est un coup à être vexé! Mais bon, je n'allais quand même pas mal le prendre... Pour les gens de ce monde, n'étais-je pas qu'un personnage de jeux vidéo? J'essayais donc de ne pas avoir trop l'air outré en lui répondant:

" Ha, mais tu as forcément entendu parler de moi. On m’appelait Super Mario. T'sais, ils en ont fait un jeu? Avec des champignons, des tortues, une princesse à sauver?"

Bon, en général, je n'avais pas besoin d'expliquer à quiquonque ce en quoi consistait ce fameux jeu, TOUT le monde connaissait. Mais lui... L'univers des jeux vidéos, il ne devait pas bien connaitre, lui. Je ne le connaissais pas assez pour faire de grands jugements sur sa personne, mais je pouvais au moins affirmer que c'était pas le genre à triturer une manette de Wii, quoi.

" Super Mario"... Mais bien sûr. Ce n'était pas un sentiment habituel, chez lui, mais pour le coup, Reed Richards se sentit franchement stupide. Bien sûr qu'il le connaissait, le monde coloré et pixelisé d'où était originaire le plombier. Il avait beau n'avoir que très peu d'intérêt pour le monde vidéo-ludique (il n'allumait que rarement la télévision, alors les consoles de jeux, très peu pour lui), les membres de sa famille n'était pas en reste, que ce soit les enfants où les adultes. Reed n'y avait jamais vraiment joué lui même (on lui avait interdit toute participation aux soirées jeux vidéos de Fantastiques quand on avait découvert qu'il pouvait utiliser ses pouvoirs très aisément pour tricher), mais il arrivait maintenant bien à visualiser son barman avec l'emblématique casquette rouge, les champignons et tout le reste...
Il soupira:

" Haaa, mais bien sûr. Désolé, j'aurais du te reconnaitre, depuis le temps que je viens ici... "

Pour le coup, il ne faisait pas vraiment honneur à sa réputation de génie.

" Mes enfants aiment bien ces jeux... Je dois avouer que je ne savais pas vraiment que c'était inspiré de... D'une histoire vraie. "

Encore une conséquence de son manque d'intérêt pour les médias. Si il avait un peu suivit les infos de temps en temps, il aurait forcément entendu parler de ça... D'ailleurs, maintenant qu'il y réfléchissait, il était presque sûr que le sujet lui avait déjà été évoqué... Seulement voilà, Reed a beau être capable de résoudre une équation à 5 inconnues de tête et sans trop y passer de temps, il n'a de la place dans son esprit génial que pour quelques problèmes à la fois, et la petite histoire de Mario, avant qu'il le connaisse, lui était rapidement sortit de la tête.

Oh, alors comme ça, il me connaissait quand même? Voilà qui était surprenant, je l'avais bien vite jugé. Sacré Mario, hein. Je me plains des préjugés à deux sous, et je fais pareil. Quand il évoqua des enfants à lui qui appréciait mes petites aventures vidéo-ludiques, je ne pu m'empêcher d'écarquiller les yeux:

" T'as des gosses? TOI? "

Heuuuu... Ça sonnait peut-être un poil insultant, non? Bravo, décidément, je me surpassais, ce soir. J'allais finir par me prendre un pain dans la tronche, à force de jouer les langues de vipère. Bon, pas que Reed m'ait jamais paru agressif, mais sait-on jamais. J'avais pas compté, mais il était là depuis un moment, il devait déjà être bien alcoolisé. Histoire de réparer les dégâts, j'essayai aussitôt de me rattraper:

" Je veux dire... T'en parle pas souvent, du coup je me faisait un peu une image de toi... J'pensais que t'étais un solitaire, quoi. "

Côté rattrapage de bourde, on aura vu mieux. Je ne voulais franchement pas me fâcher avec lui, sa compagnie était agréable, pas toujours le plus causant des piliers de bars (bon, encore une fois j'étais mauvaise langue, il n'était pas de ceux qui passent leur vie à moisir dans les bars), mais toujours sympathique. Les gros bœufs violent qui peuplaient ma clientèle, je m'en fichais pas mal de les perdre, mais lui, ça m'embêterais. Surtout pour une petite bourde qui ne se voulait même pas méchante.

" Scuse, hein, le prends pas mal. "